Article RH

Peut-on encore accomplir un travail de qualité dans les métiers de service, notamment les métiers de l’inspection et du contrôle technique des constructions, des essais et de la certification ?

 

 Il est difficile de répondre par l’affirmative tant la dégradation s’accentue au fil des ans alors que les exigences de rentabilité continuent à croître. Parallèlement, le discours sur la qualité et le bien-être au travail restent omniprésents accentuant les injonctions paradoxales auxquelles sont soumis les salariés, cadres et non-cadres. Lire la suite

 

A l’échelle de l’entreprise, de nos métiers, dans nos relations avec nos partenaires sous-traitants ou non, dans les métiers de service en général, nous constatons cette forme de dérive de la société qui se traduit  par la baisse de la qualité des prestations. Dérive amorcée avec l’obsolescence programmée des objets manufacturés ou, comme on l’a vu récemment, se traduisant jusque dans la falsification des données des constructeurs automobiles. Dans nos professions du contrôle, des vérifications règlementaires, des essais et de la certification, l’impossibilité de réaliser un travail de qualité, du fait de l’insuffisance des temps impartis, est source de souffrance pour le personnel. Entre 2001 et 2008, le montant des honoraires a baissé de 30 % dans le premier métier de notre entreprise en termes de chiffre d’affaires, le contrôle technique des constructions. Cette dégradation remonte aux années 80, période politique où la réussite en affaires, assimilée à l’enrichissement des dirigeants, a pris le pas sur la compétence et la réussite technique. Période aussi caractérisée par la prédominance des financiers sur les ingénieurs.

 

 

La réalisation de missions de qualité est indispensable à l’épanouissement et à l’estime de soi

 

Pas de bien-être sans bien – faire résume Pierre Clot[1]dans une analyse critique du management moderne. La réalisation de missions de qualité est indispensable à l’épanouissement et à l’estime de soi car cela est structurant, tout comme le regard de considération et d’estime des clients et partenaires. Ce même regard doit aussi être porté par le supérieur hiérarchique et les dirigeants de l’entreprise sur les salariés. Encore faut-il pour cela que ces derniers soient accompagnés techniquement ! Cette exigence implique un encadrement proche des salariés, maîtrisant les tâches, capables d’épauler ou au moins d’orienter. C’est le modèle que nous avons mis en place chez Alpes  Contrôles. Un modèle qui nous a été d’ailleurs imposé par nos responsables d’agence, encadrant des équipes de 3 à 30 personnes environ. Ceux-ci n’ont jamais voulu se détacher de la technique pour se concentrer uniquement sur l’encadrement administratif et financier de leurs agences, restant souvent très, voire trop pris par le suivi technique des affaires. La direction de l’entreprise a tenté sans succès de les amener  à restreindre leur production personnelle. Mais ce modèle s’avère le meilleur.

 

Nos métiers évoluent et cette évolution est l’œuvre des ingénieurs et techniciens en charge des missions

 

En effet, quand les responsables d’agence, légitimés par une forte expérience acquise dans un métier de base de l’agence, se voient retirer leur rôle d’encadrement technique et de production pour se consacrer à l’atteinte par leurs équipes d’objectifs chiffrés  en progression constante contradictoires avec la réalisation de missions de qualité, il s’ensuit une déconnexion et une perte de sens pour eux-mêmes et leurs équipes. Une perte de sens encore accentuée si les directions techniques et qualité de l’entreprise qui a cette pratique n’ont plus pour mission que de déterminer les prestations minimales que les ingénieurs et techniciens ont pour obligation de fournir à leurs clients. Nos métiers évoluent et cette évolution est l’œuvre des ingénieurs et techniciens en charge des missions. Ceux-ci,  pour donner plus de sens à leur travail et affirmer l’intérêt de leur métier ont changé le contenu initial du travail élaboré par le législateur. Un retour à des pratiques sans valeur ajoutée suffisante ne peut qu’engendrer du malaise et un sentiment de frustration et de dépossession de  leur travail.

Pour Yves Clot, la perte d’intérêt de l’encadrement pour la production réelle et leur éloignement sont ravageurs. « La lutte contre le poison du chômage de masse réclame au contraire, l’engagement de l’intelligence des dirigeants dans un nouvel esprit de production et de services ». Christophe Dejours, psychiatre et spécialiste de psychodynamique du travail, considère que « Le thème de l’ « organisation » (de l’entreprise) supplante le thème du travail dans les pratiques discursives du néolibéralisme [2]. Il y a donc une  volonté de « disqualifier les préoccupations sur le travail, dont on conteste désormais la «  centralité », tant sur le plan économique que sur les plans social et psychologique ».

 

 

Il appartient aux chefs d’entreprise de se soucier de leurs personnels et de leur donner les moyens de réaliser un travail de qualité

 

La prévention des risques psychosociaux, une mode orchestrée et développée par les cabinets de conseil en management est une pure hypocrisie. Donnons les moyens aux salariés de faire un travail de qualité et ces risques se réduiront. Il appartient aux chefs d’entreprise de se soucier de leurs personnels et de leur donner les moyens de réaliser un travail de qualité ; ils se rendront compte alors que cela est profitable pour leurs salariés, mais aussi pour l’entreprise, son image de marque, pour la limitation de l’absentéisme et du turn- over. De plus,  la société toute entière y trouve son intérêt par la réduction des coûts externes de santé. Car cette politique de réduction de la qualité a un coût social important. La dégradation de la production des biens et des services contribue à la dégradation de la santé physique et psychique des salariés. Faire un travail dont la qualité ne les satisfait pas  « les rend malades ». Inciter les entreprises à revenir à la fabrication de produits et de prestations de qualité devrait guider l’action de nos gouvernants. « Le monde du travail réel mérite (…) un projet qui redistribue les énergies sociales en direction d’un travail soigné : un travail propre, efficace, qui redonne une autorité à ceux qui le font (…). De plus, il y a une demande pour cela[3] », souligne Pierre Clot.

Cette demande est illustrée par le développement de notre entreprise, développement qui repose sur la confiance des clients et les missions qu’ils nous confient alors que la croissance de l’entreprise n’a jamais été un objectif en soi pour ses dirigeants.

Notre entreprise accueille de plus en plus des candidats cadres supérieurs qui quittent une fonction d’encadrement parce qu’ils ne supportent plus des directives contraires à leur éthique personnelle.

C’est cette éthique constitutive de notre raison d’être que nous promouvons chez Alpes Contrôles.

 

 

Michel Vignoud

Fondateur et Président d’Alpes Contrôles

 

 

[1] Clot Pierre, propos recueillis par Jérôme Fenoglio, Le Monde 22 mars 2014

[2] Dejours Christophe, Souffrance en France, Points essais, 1998.

[3] Clot Pierre, op.cit.

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